Le mole : une version mexicaine de l’odika gabonais ?
Photo de couverture : desdelafe.mx
*Disclaimer : cet article est basé sur l’expérience personnelle de Joely, un des membres de notre équipe, qui est d’origine gabonaise et vit actuellement au Mexique.*
Lorsque j’ai fait mon échange de Master au Mexique en 2017, je me suis sentie (presque) à la maison dès le début. La langue, la culture et les gens étaient différents, mais le climat, les valeurs et certaines habitudes étaient les mêmes. C’était déjà bien suffisant pour la gabonaise que je suis : je me considérais chanceuse de ne pas me sentir trop dépaysée alors même que j’étais à 20 000 km de chez moi. Pourtant, la première fois que j’ai goûté le mole, ce plat traditionnel du Mexique à base de cacao, de noix et d’épice diverses, j’ai vraiment cru que j’avais été propulsée au Gabon le temps d’une bouchée. Le goût était en réalité assez différent, mais je restais persuadée qu’un.e autre gabonais.e aurait eu exactement la même réaction que moi : ce plat, c’était une version mexicaine de l’odika !
L’odika, un plat incontournable de la gastronomie gabonaise.
Je ne pourrai pas expliquer mon émotion si je n’explique pas d’abord ce qu’est l’odika. En langue omyènè du Gabon, l’odika désigne une sauce à base de «chocolat indigène». Ce chocolat ne vient en fait pas du cacao mais plutôt des graines du fruit de l’acacia, qui ressemble à une mangue sauvage et a un goût très proche du cacao. Une fois cuites, les graines sont pilées pour former une pâte marron amère.
Bloc d’odika brut – Image de delicesgabon.com
C’est avec cette pâte qu’on prépare la sauce de l’odika, (et avec du piment, de l’ail et de l’huile d’arachide). Ce goût de «chocolat» un peu amère et très épicé m’a sincèrement fait me demander si le mole n’avait pas pu être exporté au Mexique par des esclaves africains. Même si l’odika est un plat myènè, tous les gabonais en mangent avec plaisir. Il fait partie du top 5 des plats gabonais les plus reconnus dans et hors du pays. Je ne connais pas les origines de l’odika, ni la date de création de la recette, mais j’ai pensé que si elle était suffisamment «vieille», il y avait des chances pour que ma théorie soit vraie…
Image de bidzifood.com
Le mole : une recette précolombienne qui fait encore fureur aujourd’hui.
Mais non, je vous arrête tout de suite : le mole n’a en réalité aucune origine africaine ! C’est bien le hasard (et un climat similaire) qui a fait que les peuples autochtones du Mexique ont commencé à transmettre cette recette biiiiien avant que les européens ne touchent leur sol. Le mole, lui, contient effectivement du cacao, cuisiné en sauce avec… du piment, des oignons, de l’ail et des cacahuètes. Ca vous rappelle quelque chose, n’est-ce pas ?
Image de mexicoinmykitchen.com
Il n’existe pas une mais des recettes (nombreuses) du mole. La légende veut que ce plat ait été créé par accident par les religieuses d’un couvent de la ville de Puebla (Etat de Puebla, Mexique) vers 1680. Mais apparemment, c’est un plat qui était déjà consommé par les natifs de cette région de l’Amérique, même si leur recette était probablement différente. Aujourd’hui, on compte un peu plus de 7 types de mole différents (rouge, vert, noir, jaune, etc), et c’est un plat tellement important dans la gastronomie du Mexique qu’on organise même des compétitions de mole ! Grâce aux techniques secrètes de chacun.e, chaque mole a un goût unique, mais la base est bien la même : du chocolat, de l’ail et de l’oignon, des épices et beaucoup de piment, comme pour l’odika !
Comme un air de Gabon au Mexique
Ça fait presque un an que je n’ai pas goûté un bon plat d’odika – autant dire une éternité. Mais chaque fois que je mange du mole, surtout lorsqu’il est amère, je pense immédiatement à mon cher Gabon. En dehors du goût, les sauces du mole et de l’odika se consomment plus ou moins de la même manière : avec de la viande de poulet et du riz. Après, libre à vous de déguster votre odika avec une nerveuse banane plantain grillée et du manioc, bien sûr…
Plat de cotis braisées à l’odika et banane pilée – Image de @popolovescooking
Mais les mexicains, eux, consomment leur mole presque exclusivement avec du riz et des tortillas. Bon, c’est vrai que certains l’accompagnent parfois de haricots rouges et même… de banane plantain ! Parce que oui, la banane plantain, mais aussi le bissap (jus d’hibiscus) et le jus de baobab font également partie du kit complet d’une bonne cuisine mexicaine. Il y a même certaines boissons fermentées (comme le tejuino) qui rappellent le vin de palme joyeusement consommé au Gabon. Avec toutes ces similitudes culinaires, je ne pouvais que me sentir à la maison !
Mole poblano – Image de testal.mx
La cuisine traditionnelle mexicaine est tellement riche et unique qu’elle a été déclarée patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco dès 2010. Depuis que mon aventure mexicaine a commencé, je peux dire que mes meilleurs moments sur ma terre d’accueil se sont déroulés autour d’un bon plat. À travers les plats mexicains, j’ai découvert de nombreuses traditions sociales et décodé plusieurs habitudes mexicaines. J’ai appris à aimer et respecter cette culture. Mais de temps en temps, j’avoue que j’ai le mal du pays…
Eh bien, quand un coup de blues de ce genre me prend, je vais m’asseoir à la table du premier restaurant mexicain que je croise pour commander un bon plat de mole. Et dès la première bouchée, je me sens comme à la maison.
PS : pour les gourmand.es (ou juste curieux.ses) qui veulent reproduire ces deux recettes : le mole c’est par ici et l’odika par ici !
