Roger Dushime : Raconter les afro-descendants par la cuisine
Né au Rwanda et arrivé en Belgique à 7 ans, Roger Dushime n’est pas qu’un simple créateur de contenu. Ce passionné de food et d’histoires culturelles porte une mission ambitieuse : valoriser les cuisines afro-descendantes et raconter leur histoire sous toutes ses formes. Entre documentaires et projets culinaires, il ne recule devant rien pour mettre en lumière nos patrimoines méconnus.
Avant de se plonger dans l’univers de la gastronomie, Roger a travaillé de longues années dans le milieu socio-culturel en tant qu’animateur et chef de projet. Ses forces ? Créer des outils pédagogiques pour transmettre, mais aussi conceptualiser des projets pour obtenir des financements.
Aujourd’hui, il met ces compétences au service des cuisines afros.
Depuis 2023, il a entamé une transition professionnelle, avec un objectif clair : utiliser la food comme prétexte pour raconter l’histoire des afro-descendants.
« Être un enfant noir en Europe c’est une expérience unique. A travers la cuisine, il existe des connexions profondes qui nous rassemblent. Ces plats sont notre culture et notre héritage. »
Un documentaire pour visibiliser les cuisines afro-belges
Roger prépare donc actuellement un documentaire ambitieux sur les cuisines afro-belges, dont la sortie est prévue pour Février 2025.
Lauréat d’un appel à projet fédéral belge dédié à la décennie des afro-descendants de l’ONU, il a mis plusieurs mois à peaufiner son dossier.
« J’ai mis cinq ans de réflexion sur la cuisine afro dans ce projet. L’idée est de montrer comment nos plats nous connectent et racontent nos origines»
Le documentaire prend un angle intime : les participants évoquent leur lien personnel avec leur cuisine d’origine (Rwanda, Congo, Éthiopie…). Ils discutent aussi de l’écosystème food afro en Belgique. Inspiré par des œuvres comme High On The Hog ou Chef’s Table sur Netflix, Roger souhaite une approche esthétique et introspective, où la food devient un miroir des identités.
A gauche : Roger Dushime lors de l’AfroBrunch & talk de Février 2024 à l’ambassade des USA de Belgique. Crédits : Roman Laschov
Talks et transmission
Parallèlement, Roger anime les AfroBrunch & Talk, un projet pédagogique et convivial où la gastronomie afro-descendante devient le centre des discussions.
« Notre génération ne connaît pas assez son patrimoine gastronomique. Ces événements sont un moyen de transmettre cet héritage aux noirs, pour qu’ils se reconnectent à leurs racines ; et aux non-noirs, pour qu’ils découvrent la richesse de nos gastronomies. »
Ici, tout est pensé pour susciter des échanges et de la curiosité. Entre dégustations, comparaisons, et partages d’histoires, Roger s’attache à déconstruire les idées reçues sur les cuisines africaines et à les inscrire dans un cadre culturel structuré.
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Si il est aussi à l’aise dans les cuisines de Utamu Coffee & Pastries (qu’il a co-créé avec des membres de sa famille et dont il a conçu la carte salée), qu’en pleine création de documentaires culinaires, c’est parce qu’il a une approche unique. Féru d’anthropologie et de sociologie culinaire, il s’interroge sur des détails apparemment simples, mais profondément révélateurs.
« J’aimerais trop aller au Cameroun pour analyser les bobolos (rires). C’est ce genre de recherche qui permet de préserver un patrimoine. »
(NDLR : le bobolo est une pate de manioc fermentée et cuite à la vapeur dans des feuilles de bananiers. Très consommé en Afrique centrale. On l’appelle aussi Chikwangue)
Une scène food belge en pleine évolution
Pour Roger, la scène food afro en Belgique est encore marginale, loin de la reconnaissance qu’elle commence à recevoir en France. Pourtant, une nouvelle génération d’entrepreneurs noirs émerge, avec un désir croissant de reconnecter leur identité à leurs projets. Il cite notamment des initiatives comme Afro Bowl, un concept de fast-food afro accessible et qualitatif. En France, il encense Bomayé, qu’il considère comme une « masterclass » en termes de storytelling culinaire.
Il milite pour une normalisation des cuisines afros, afin qu’elles soient mieux représentées dans les restaurants, les médias, et même la grande distribution. « La première étape, c’est d’attirer les gens dans les restaurants afros et leur montrer que nos cuisines ont autant de valeur que n’importe quelle autre gastronomie. »
Ce qui nous différencie, et ce qui nous rassemble
Pour Roger, raconter la food, ce n’est pas seulement parler de cuisine. C’est explorer l’impact culturel, historique, et identitaire des plats.
« Les cuisines afro-descendantes, sont connectées à travers les continents. Par exemple, le sorgho est cultivé en Afrique mais aussi aux États-Unis, créant un lien direct entre les cultures et les peuples de ces 2 espaces. Ces connexions racontent une histoire universelle. »
En attendant la sortie de son documentaire, Roger invite tout le monde à rester attentif. « On veut que ce film soit une porte d’entrée vers une gastronomie encore trop méconnue. Et une ode à cette jeunesse belge afro-descendante qui, à travers la food, raconte ses rêves, ses origines, et son avenir. »