
Annie Adiogo transforme le niébé en révolution alimentaire
Il y a quatre ans, nous vous présentions Annie Adiogo, cette ingénieure agro-alimentaire qui avait lancé Glim Africa avec une vision audacieuse : révolutionner la consommation du niébé au Cameroun et au-delà. Entre défis logistiques et premières productions, l’entrepreneure posait alors les fondations d’un projet ambitieux. Il y’a quelques semaines, nous avons retrouvé Annie pour mesurer le chemin parcouru. Pâtes, farines, semoules : la gamme s’est diversifiée, l’entreprise s’est structurée, et les ambitions se sont précisées. Cette scientifique passionnée nous a dévoilé les coulisses d’une aventure entrepreneuriale qui révolutionne l’industrie agroalimentaire camerounaise en transformant le niébé en trésor alimentaire.
De la pharmacie à l’agro-alimentaire
Issue d’une famille de scientifiques, Annie Adiogo a très tôt cultivé une passion pour les problématiques de santé et d’alimentation. Après avoir débuté en pharmacie, elle s’est finalement tournée vers l’agro-alimentaire, un secteur où elle a pu mettre à profit son expertise technique en travaillant comme ingénieur manager de production chez des acteurs majeurs comme Ducros ou encore Poulain.
« J’ai vécu au Cameroun toute ma jeunesse avant d’aller faire mes études en France, » confie-t-elle. Si elle nourrissait déjà le rêve de créer une industrie au Cameroun, Annie pensait initialement attendre ses 45 ans pour franchir le cap, estimant qu’il lui faudrait du temps pour constituer un capital suffisant.

Le déclic inattendu : quand la gastronomie rencontre l’innovation
C’est en 2017 que tout bascule. La lecture du « Patrimoine Culinaire Africain » du chef Christian Abegan provoque un véritable électrochoc chez Annie. « Je suis tombée sur la recette de la sauce Egusi à base de pistache. Ce qui m’a frappée, c’est que la sauce n’avait pas une texture lisse, mais granuleuse, » se souvient-elle.
Son esprit d’ingénieure s’est immédiatement mis en marche : pourquoi ne pas utiliser les techniques industrielles pour améliorer la texture des plats traditionnels africains ? « Cette sauce Egusi aurait pu être plus lisse en étant émulsionnée. La texture joue beaucoup sur les sensations gustatives. Ça permet d’avoir une meilleure perception en bouche du produit, » explique-t-elle avec passion.
Cette révélation l’a conduite à explorer comment valoriser les produits locaux grâce à l’innovation technique. Après plusieurs mois d’immersion au Cameroun pour étudier le marché, elle identifie le niébé comme la légumineuse idéale pour porter son projet disruptif.
« Je voulais un produit dont l’intérêt nutritionnel était avéré et qui n’avait encore jamais été travaillé industriellement. Le niébé était en tête de liste. C’est une légumineuse riche en protéines que tout le monde connaît grâce au koki. »
De la formation à l’action : le lancement de Glim Africa et Sunnali
Déterminée à concrétiser sa vision, Annie retourne en France pour se former chez Agroparistech, dans un programme post-ingénieur en partenariat avec l’école Ferrandi. Une formation enrichissante où elle a même eu l’opportunité d’apprendre auprès du chef Alexandre Bella Ola, pionnier des cuisines africaines en France.
Malgré le retard causé par la pandémie de COVID-19, elle parvient finalement à installer son unité de production à Douala. Aujourd’hui, son entreprise s’est structurée en deux entités : Sunnali, la marque qui développe semoules, farines, pâtes et bouillies à base de niébé, et Glim Africa, l’entité administrative en charge de la production, qui fait aussi du lobbying pour valoriser la filière niébé au Cameroun.
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Entre fierté locale et ambition continentale

L’accueil des produits Sunnali au Cameroun a dépassé les attentes d’Annie. « Les gens manifestent tellement d’émotions positives par rapport à ce que je fais. Ils connaissent le niébé et sont surpris de voir qu’on peut cuisiner des tas de choses avec. Il y a une certaine connexion avec le produit d’entrée de jeu, » s’enthousiasme-t-elle.
Mais Annie voit plus grand. Son regard est tourné vers le Nigéria, premier producteur et consommateur de niébé avec ses plus de 200 millions d’habitants. « Mon objectif, c’est de vendre là bas. » affirme-t-elle avec détermination. « C’est un marché où je n’ai pas non plus besoin de démocratiser le produit. Ils le connaissent déjà et auront beaucoup de fierté à consommer du made in Africa. »
Les défis d’une innovation alimentaire au Cameroun
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’éducation des consommateurs n’est pas le principal défi auquel Annie fait face. « C’était ma plus grosse crainte, mais je me suis rendue compte qu’il n’y a pas de rejet à ce niveau. Les gens ne sont pas choqués de manger des pâtes à base de niébé, » confie-t-elle avec soulagement.
Le véritable enjeu réside davantage dans la stratégie commerciale. « Nos produits sont super simples. L’enjeu, c’est de trouver comment toucher le consommateur, » explique Annie. Sa solution ? Passer par la restauration pour familiariser le public avec ces nouvelles façons de consommer le niébé.
« Après avoir découvert un produit dans un restaurant ou en boulangerie, on est plus enclin à l’acheter par la suite. Puisque c’est une nouvelle manière d’utiliser le niébé, les gens ont besoin de tester, de goûter d’abord, » analyse-t-elle.
Cette approche semble porter ses fruits :
« Nous vendons très bien sur les événements, car ça rassure les gens de pouvoir goûter directement. Quand les produits sont exposés en grande surface, notre taux de transformation est moins important. »
L’avenir du niébé : entre défis économiques et potentiel inexploité
Si le niébé présente d’indéniables atouts nutritionnels, sa filière souffre encore d’un manque d’organisation. « La variation des prix est due au manque de régulation : pas de subventions, pas de prix fixés, pas de politique tampon pour pallier aux éventuelles récoltes faibles, » déplore Annie.
Elle souligne également l’inégalité de la concurrence face à des produits subventionnés : « N’oublions pas que le blé et le riz au Cameroun sont subventionnés par l’État. On les achète donc bien moins cher que ce qu’ils coûtent en réalité. »
Malgré ces défis, Annie reste convaincue du potentiel du niébé. Pour le valoriser, elle mise sur un positionnement innovant : « Le côté aliment du futur est un angle qui fonctionne aujourd’hui. Contrairement à l’argument ‘éco-responsable/durable’ qui reste une niche dans le contexte africain, l’argument ‘aliment du futur’ est plus fort, plus fun, plus simple à marketer. Il montre que l’Afrique est dans l’ère du temps et en avance de phase. »

La R&D, pilier de la stratégie Sunnali
L’innovation constante est au cœur de la vision d’Annie. « On a pris le temps pour en arriver à la création de Sunnali, » explique-t-elle. « Avant, on avait un problème de praticité : le temps de cuisson était trop long, notamment sur les pâtes. »
Après de nombreux tests et ajustements, l’entreprise a simplifié ses procédés pour les rendre plus scalables et plus adaptés aux besoins des consommateurs. Un conseil qu’Annie partage avec conviction : « Il faut investir en R&D. C’est crucial pour une marque. Cela permet d’aller plus vite, de standardiser et de pouvoir s’adapter aux besoins des consommateurs. »
Petit Lexique des produits afros
Niébé : Variété de haricots de couleur blanche avec un point noir au centre. On les appelle aussi haricot cornille ou black eyed peas
Koki : Gâteau de cornille (ou niébé) agrémenté d’huile rouge, de sel et d’épices, cuit à la vapeur
Où trouver Sunnali
- Le Livreur du Bled (Paris)
- Maison Soré (Paris)
- La Case Exotique (Carrières-sous-Poissy)
- Carrefour Douala & Yaoundé
- Aromatik (Douala – Bonapriso)